Les chiffres de la population israélienne de Judée-Samarie

Mis à jour le 8 août 2017

Parmi les points de discorde entre Israéliens et Arabes palestiniens, la question des implantations juives en Judée-Samarie est certainement la plus émotionnelle. D’un coté, elles symbolisent le retour du peuple juif sur sa terre ancestrale, une terre qui fut reconnue comme partie du foyer national juif par la Déclaration Balfour et vers laquelle l’immigration fut encouragée par le Mandat britannique pour la Palestine. D’un autre côté, les implantations juives sont perçues par l’OLP comme une intrusion sur le territoire qu’elle réclame pour y fonder un nouvel État arabe indépendant dans la perspective d’une paix à deux États. Lorsque Barack Obama devint Président des États-Unis, il adopta une attitude controversée envers les implantations israéliennes, alignée sur l’affirmation de l’OLP que « les implantations sont un obstacle à la paix ». Il encouragea l’OLP à exiger qu’Israël stoppât tout type de construction en Judée et Samarie comme préalable à des négociations de paix. Lui-même demanda un arrêt total des constructions.

Cette politique plaça Benyamin Netanyahou devant un dilemme : soit (i) il acceptait l’arrêt total des constructions et plaçait les citoyens israéliens de Judée et Samarie dans la situation intenable de ne pas pouvoir construire, pendant un temps imprévisiblement long, les infrastructures de logement demandées par la croissance naturelle de leur population, soit (ii) il rejetait la demande et prenait le risque qu’Israël apparût comme le camp qui refusait de négocier la paix. Malgré plusieurs tentatives de Netanyahu d’obtenir un compromis réaliste basé sur un gel temporaire des constructions, aucune négociation sérieuse ne fut jamais entamée sous l’administration Obama. Huit années ont été perdues en vain à cause de cette politique. La paix avec les Arabes palestiniens semble plus éloignée que jamais.

Une partie importante de la gauche israélienne chercha à tirer un profit politique du manque de progrès diplomatique pour déstabiliser Netanyahu en l’accusant, lui et son gouvernement, d’être plus dévoués aux habitants israéliens de Judée-Samarie qu’à la paix avec les Arabes palestiniens, comme si le soucis des premiers empêchait de rechercher une paix durable avec les seconds. En réalité, depuis les Accords d’Oslo, la gauche israélienne monopolise la parole et essaye de se positionner comme l’unique « camp de la paix ». Dans sa communication, elle dépeint la droite israélienne comme opposée à la paix, soutenant toutes les initiatives en faveur des implantations israéliennes en Judée et Samarie et en faveur de l’annexion pure et simple de la région. Outre que cette description constitue une déformation grossière et sans nuance des courants qui traversent la droite israélienne, la répétition de tels mensonges inflige des dégâts sévères à la réputation internationale d’Israël. De plus, cette narration passe hypocritement sous silence le fait que les premiers villages israéliens post-1967 construits au delà de la ligne d’armistice — Kiryat Arba (1972), Ma’ale Adumim (1975), Elkana (1977) — furent autorisés par la gauche israélienne pendant la décennie 1967-1977 et que jamais un gouvernement de gauche ne limita le repeuplement[1] juif de la Judée et de la Samarie d’une manière plus forte que ne le fit un gouvernement de droite. Voyons ceci en chiffres.

Le graphique ci-dessous montre l’évolution de la population israélienne en Judée-Samarie de 1972 à 2015. Les chiffres proviennent l’organisation militante anti-implantations Peace Now qui les a collectés auprès du Bureau central israélien des statistiques (ICBS) et publiés sur son site internet.[2] Sur le graphique, les bâtonnets bleus correspondent aux années où la droite israélienne fut au pouvoir, les bâtonnets rouges à celles où la gauche fut au pouvoir. Comme le montre le graphique, la gauche israélienne autorisa les mêmes accroissements de population que la droite. Elle ne restreignit pas plus le transfert de population vers la Judée et la Samarie que ne le fit la droite, même au temps où le Premier ministre Rabin négociait les Accords d’Oslo. Sur la base de ces chiffres, la gauche israélienne n’a aucune légitimité pour se prévaloir d’un narratif anti-implantations. Il n’y a aucune différence entre la gauche et la droite de ce point de vue-là. Depuis 1985, la population israélienne vivant en Judée-Samarie augmente à un rythme constant d’environ 11.300 âmes par an.

Population israélienne en Judée-Samarie
Évolution de la population israélienne de Judée-Samarie et de son taux d’accroissement annuel entre 1972 et 2015 (source: ICBS)

Sur la base des mêmes données démographiques, certains prétendent que la droite israélienne poursuit une politique favorisant l’implantation d’un grand nombre d’Israéliens en Judée et Samarie. Un tel discours est typique des ONG de gauche comme B’Tselem, J Street/J Call ou Peace Now. Leur argument principal est que le nombre d’Israéliens vivant en Judée et Samarie a presque doublé depuis que la droite israélienne est revenue au pouvoir en 2001. Les chiffres sont justes, mais les conclusions trompeuses. Une analyse correcte demande plus de finesse. En particulier, l’idée que la droite a favorisé le flux de population vers la Judée-Samarie est fausse.

Il convient d’abord de constater que depuis la fin des années 1980, la population croît quasi-linéairement. Si le taux d’accroissement annuel de la population (exprimé en pourcents par année) avait été constant, la population eut crû de manière exponentielle. La croissance de la population fut linéaire parce que le taux de croissance n’a fait que diminuer pendant toutes ces années. Ce taux est représenté sur le graphique par la ligne de couleur bronze. Alors qu’il culminait à des valeurs de l’ordre de +30% par an avant l’entrée en fonction du second gouvernement Shamir (octobre 1986), ce taux n’a fait que baisser depuis cette époque. En 2015, il atteignait la valeur de +3,9% par an alors qu’il était de +13,7% par an en 1986. Paradoxalement, alors que la gauche israélienne et les ONG anti-implantations l’accuse d’accentuer le repeuplement juif en Judée-Samarie, le gouvernement Netanyahou est celui qui — depuis la Guerre des Six Jours ! — a le plus réduit l’afflux de nouvelles familles juives en Judée-Samarie, limitant presque l’accroissement annuel de population à sa composante irréductible : l’accroissement naturel dû aux nouvelles naissances, comme nous allons le voir ci-dessous. À titre de comparaison, sous les gouvernements de Rabin et Barak, le taux d’accroissement annuel de la population était d’environ 9,0% et 7,3% respectivement, des chiffres bien plus élevés que la croissance naturelle de la population de Judée-Samarie et témoignant d’une composante de peuplement très significative.

Selon le Bureau central israélien des statistiques (chiffres de 2013), chaque année, la population israélienne augmente de 2,1% par le fait des naissances et diminue de 0,5% par le fait des décès. Il en résulte un accroissement annuel net de population de 1,6% (en tenant compte de l’aliyah, ce taux monte à 1,9%). Selon les mêmes statistiques, 12.129 naissances ont été enregistrées dans les localités israéliennes de Judée-Samarie en 2013. Rapporté à une population totale de 356.500 personnes (en 2013), cela correspond à un taux de naissances de 3,4%. Ce taux — très supérieur au taux de naissances moyen israélien — s’explique par une plus grande proportion de familles très religieuses en Judée-Samarie comparé au reste du pays (par exemple, les foyers ultra-orthodoxes ont tendance à avoir plus d’enfants que la moyenne israélienne dans un rapport de 6,9 à 3). Le taux annuel de décès en Judée-Samarie est aussi plus faible que celui de la moyenne nationale (à cause de la jeunesse de cette population, elle-même liée au taux élevé de naissances) ; il vaut 0,15% (chiffres de 2013). On peut donc calculer que l’accroissement naturel net de la population de la Judée-Samarie est de +3,25% par an.

Depuis que Benyamin Netanyahou succéda à Ehud Olmert, le taux d’accroissement annuel de la population israélienne en Judée-Samarie a décru de 5,3% (en 2009) à 3,9% (en 2015). Sous aucun autre gouvernement, il ne fut aussi proche de l’accroissement naturel de la population installée. Les nouvelles installations de résidents israéliens en Judée-Samarie ne représentaient en 2015 que 0,65% de la population totale, soit 2.500 personnes — seulement 16,4% de l’accroissement annuel de la population. À titre de comparaison, les nouvelles installations dépassaient 8.000 personnes par an à l’époque de Rabin (1992) et représentaient environ 70% de l’accroissement de population annuel en Judée-Samarie.

Lorsqu’il est question d’implantations juives, il est important de faire la différence entre (i) les politiques favorisant un plus grand afflux de population vers la Judée et la Samarie (politiques pro-implantation) et (ii) celles destinées à améliorer les conditions de vie des personnes installées là-bas, comme permettre la construction de nouvelles maisons, écoles, hôpitaux, etc. dans les villages existants (politiques pro-résidents). Depuis les années 1980, tous les gouvernements — de gauche comme de droite — se sont engagés dans la réduction de l’afflux de population vers la Judée et la Samarie. Aucun n’y a cependant mis un terme. La diminution fut continue et le gouvernement Netanyahou, souvent qualifié de « pro-implantation » par l’opposition, est celui qui a le plus drastiquement limité l’implantation de nouvelles familles juives en Judée et Samarie. On peut qualifier le gouvernement Netanyahou de pro-résidents, mais certainement pas de pro-implantation.[3]



[1] Les Juifs furent chassés des territoires palestiniens conquis par la Jordanie en 1948. Ils y étaient nombreux, notamment à Jérusalem qui comptait déjà 8% de Juifs en 1882 et dont la population juive n’a fait qu’augmenter au fil des ans pour atteindre le chiffre de 100.000 Juifs, soit 49% de la population de la ville en 1946. La communauté juive d’Hébron était l’une des plus anciennes de Palestine (voir le massacre d’Hébron, 1929).  Le Mandat Britannique encourageait les Juifs à s’installer de plein droit sur tout le territoire s’étendant de la mer au Jourdain et y acquérir des terres agricoles. En 1945, des propriétaires juifs possédaient de nombreux terrains dans Jérusalem ainsi qu’au nord, au sud, à l’est et à l’ouest de celle-ci (voir la carte ci-dessous). Entre le sud de Jéricho et la Mer Morte, une grande étendue de terres avait été concédée par le gouvernement britannique à l’industriel juif Moshe Novomeysky pour l’extraction de la potasse de la Mer Morte. Il y avait dans cette région de grandes installations industrielles privées. Le kibboutz de Kyala a été créé en 1929 pour accueillir les travailleurs juifs.

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Cartes des possessions foncières juives en Palestine à la date du 31 mars 1945 (source : Hadawi, Sami. Palestine Arab Refugee Office, 1949, Library of Congress Geography and Map Division Washington, D.C. 20540-4650 dcu)


[2] Les archives du Bureau central israélien des statistiques sont consultables en hébreu; certaines publications sont disponibles en anglais ou sont bilingues. Les données de population remontant jusqu’en 1994 peuvent être consultées ici. J’ai personnellement vérifié ces chiffres. Ils concordent avec ceux publiés par Peace Now, soit rigoureusement, soit à moins de 5% près.


[3] Il y a quelques jours, Netanyahou déclarait devant une assemblée de villageois de Judée-Samarie : « Il n’y a pas de gouvernement qui fait plus pour [le mouvement] des implantations en Israël que celui que je dirige. » Cette déclaration va dans le sens de notre analyse. Netanyahou insiste ici sur ce qu’il fait pour les familles déjà installées en Judée-Samarie, ce que l’on appelle le « mouvement des implantations » ou, comme le Times of Israel le transcrit correctement et plus simplement dans le titre de son article, « the settlers », c’est-à-dire les résidents juifs de la Judée-Samarie. Les nouvelles constructions annoncées par Netanyahou (voir l’article) sont destinées aux familles de ces résidents anciennement installés. C’est un exemple de politique pro-résidents et non une politique pro-implantation au sens de notre analyse.

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