La gauche, la droite et le peuplement israélien en Judée-Samarie

Il n’est pas simple de parler des implantations israéliennes en Judée-Samarie. De nombreux israéliens les considèrent parfaitement légitimes et de nombreux autres les considèrent comme illégitimes. Les discussions s’enveniment vite. En réalité, le clivage ne se superpose ni exactement au clivage gauche/droite ni au clivage entre les Juifs religieux et séculiers, mais porte sur l’interprétation du droit international et sur l’histoire. Par ailleurs, loin des manichéismes, parmi les Israéliens qui considèrent que les implantions sont légitimes, beaucoup seraient prêts à évacuer les moins peuplées et à échanger des territoires dans la perspective d’un accord de paix global et définitif avec les États arabes et les habitants arabes de Palestine, même si un tel accord semble aujourd’hui illusoire.

La question des implantations ne serait sans doute pas aussi conflictuelle pour les Juifs si Barack Obama — et, à sa suite, la plus grande partie de la communauté internationale y compris les alliés d’Israël — n’avait pas introduit en 2009 l’idée aussi farfelue qu’improductive selon laquelle les villages israéliens de Judée-Samarie et leurs habitants étaient des « obstacles à la paix ». Il exigea que plus aucune construction ne fût autorisée tant que la paix n’était pas conclue. Benyamin Netanyahou n’accepta pas cette condition et les négociations de paix ne progressèrent pas.

Le débat autour des implantations s’est alors polarisé et hystérisé. Pour certains dans notre petite communauté juive « être pour la paix » ne peut plus s’envisager qu’en étant contre Netanyahou, contre la droite, contre les religieux, contre les implantations, . . . et pour le retour du Parti travailliste (nouvellement rebaptisé Union sioniste) aux affaires. Et si vous n’êtes pas d’accord, si vous protestez, on aura vite fait de vous cataloguer comme « faucon d’extrême droite opposé à la paix ». La déraison atteint des sommets. En France et aux États-Unis, le même schisme entre Juifs de gauche et Juifs de droite se constate.

Dans mon précédent article, j’ai voulu tordre le cou à l’idée reçue selon laquelle la gauche israélienne se serait toujours opposée aux implantations et que la droite en soutiendrait l’expansion. J’ai appuyé mon argumentation sur les chiffres officiels du Bureau central israélien des statistiques (ICBS), les mêmes chiffres qu’utilisent l’organisation anti-implantations Peace Now. J’ai montré qu’on observe depuis longtemps une tendance à la modération de l’afflux de nouveaux résidents israéliens vers la Judée-Samarie. Cette modération se traduit par une diminution continue du taux de croissance annuel (en pourcent) de la population israélienne de Judée-Samarie depuis la fin des années 1980 ; elle transcende le clivage gauche-droite. Paradoxalement, c’est sous le présent gouvernement Netanyahou, composé de libéraux, de nationalistes et de religieux, que l’afflux d’Israéliens vers la Judée-Samarie a été le plus fortement jugulé, au point que le taux de croissance de la population israélienne de Judée-Samarie se réduit quasiment au taux de croissance naturel (les naissances moins les décès).

J’aimerais revenir sur cette étonnante observation en analysant les statistiques de population d’une manière plus approfondie que dans le précédent article. Le graphique suivant montre l’évolution de l’afflux annuel de population vers la Judée et la Samarie de 1994 à 2015. L’afflux annuel de population est défini comme la différence entre l’accroissement annuel observé et l’accroissement annuel naturel (les naissances moins les décès). Un gouvernement israélien désirant accélérer le peuplement juif en Judée-Samarie mènerait une politique visant à augmenter l’afflux. Un gouvernement désirant freiner ce peuplement jugulerait cet afflux autant que possible. Les chiffres nécessaires au calcul de l’afflux sont publiés sur le site du Bureau central israélien des statistiques ; ceux d’avant 1994 ne sont pas disponibles en ligne. Comme dans mon article précédent, les bâtonnets rouges représentent les années pendant lesquelles Israël a été gouverné par la gauche et les bâtonnets bleus celles pendant lesquelles le gouvernement fut de droite. Ici, j’ai aussi introduit des bâtonnets mauves pour les années 1996 et 1999 car, la passation de pouvoir ayant eu lieu en juin/juillet, elles sont véritablement à cheval sur deux législatures de « couleur » différente.


Afflux annuel de citoyens israéliens vers les territoires de Judée et Samarie (source: ICBS)

La première chose à noter est la forte diminution du flux de population vers la Judée-Samarie depuis que la droite israélienne est revenue au pouvoir en 2001. Entre 2001 et 2015, l’afflux de population moyen s’élevait à 4.128 personnes par an, alors qu’entre 1994 et 2001 il se situait à 6.082 personnes par an. Cette diminution coïncide avec l’occurrence de la seconde intifada (sept. 2000-2003), rendant périlleuse l’installation de nouvelles familles dans les territoires. On s’aveuglerait cependant à exagérer l’importance de cet effet car, malgré la fin des violences vers 2003 et l’amélioration de la sécurité et des infrastructures, les chiffres de l’afflux ne sont jamais remontés aux valeurs d’avant 2001, notamment lorsque la gauche était au pouvoir. Après une légère remontée quand Olmert succéda à Sharon en 2006, l’afflux ne fit que baisser (à l’exception de l’année 2012) atteignant des valeurs historiquement basses sous le gouvernement Netanyahou. En 2014, à peine 2.438 Israéliens se sont installés en Judée-Samarie.

La deuxième chose à noter est que l’intensité de l’afflux change lorsque le Premier ministre change, accréditant la thèse que l’afflux de population vers la Judée-Samarie n’est pas seulement gouverné par des circonstances exogènes, mais que le gouvernement d’Israël peut le tempérer ou l’accentuer dans une certaine mesure en fonction de sa politique. Ainsi, lorsque Netanyahou succéda à Pérès en 1996, l’afflux diminua et resta à une valeur plus basse pendant toute la durée de son mandat. Lorsque Barak succéda à Netanyahou en 1999, les chiffres de l’afflux explosèrent pour ensuite diminuer brusquement à cause du déclenchement de la seconde intifada et l’arrivée au pouvoir de Sharon. Le même phénomène se produisit quand Olmert succéda à Sharon en 2006. Cette observation est étonnante et il serait intéressant d’analyser par quel mécanisme les changements de gouvernement influencent l’afflux de population vers la Judée et la Samarie. Il semble cependant difficile de nier que l’effet existe.

Remarquons aussi que plus le gouvernement est de droite (Sharon et surtout Netanyahou), plus l’afflux de population vers la Judée-Samarie est jugulé. Plus le gouvernement penche à la gauche (Rabin, Pérès, Barak et dans une moindre mesure Olmert), plus les chiffres de l’afflux partent à la hausse. S’il existait un « parti de la colonisation », ce serait donc le Parti travailliste plutôt que le Likoud — nouveau paradoxe et non des moindres.

Naturel
Taux de naissances (bleu), de décès (rouge) et le taux d’accroissement naturel de la population de Judée-Samarie (noir) entre 1994 et 2015.

Globalement, malgré les fluctuations que j’ai décrites, l’afflux de population vers la Judée et la Samarie a diminué depuis 1994. Avant cette date, l’afflux était encore plus élevé. Les statistiques de l’ICBS qui sont en ligne ne permettent pas de le calculer rigoureusement, mais une évaluation raisonnable est possible parce que le taux de croissance naturel de la population israélienne en Judée-Samarie varie peu. Le graphique ci-dessus démontre cette constance. Entre 1994 et 2015, ni le taux de naissances (courbe bleu) ni le taux de décès (courbe rouge) n’ont changé significativement. Le taux de croissance naturel de la population (courbe noire), qui n’est autre que la différence entre les deux courbes précédentes,  n’a que légèrement fluctué autour de la valeur moyenne de 3,3%. En utilisant les chiffres de la population israélienne en Judée-Samarie que j’ai présentés dans mon article précédent et supposant un taux de croissance naturelle constant de 3,3%, on peut évaluer que l’afflux de population vers les territoires se situait aux alentours de 6000-9000 personnes par an entre 1990 et 1994. Extrapolant encore plus loin dans le temps — ce qui est un peu plus hasardeux — on voit que l’afflux de population dans les années 1970 devait être proche de ce qu’il est actuellement sous le gouvernement Netanyahou malgré que la population israélienne fut significativement moindre à cette époque. Le gouvernement Netanyahou actuel est donc bien celui qui restreint le plus l’accroissement absolu de population en Judée-Samarie depuis au moins 25 ans . . . et peut-être même depuis les années 1970.

Plutôt que de s’intéresser au flux de peuplement, la plupart des contempteurs d’Israël commettent l’erreur de ne prendre en considération que le nombre total d’Israéliens résidant en Judée et en Samarie. Ils s’indignent que ce nombre augmente et poussent des cris quand Israël autorise la construction de nouveaux logements. Même si le gouvernement d’Israël — dans un mouvement d’autoritarisme inédit — prenait la décision d’interdire soudainement tout afflux vers la Judée-Samarie, la population de celle-ci ne cesserait évidement pas de croître à un rythme proche de celui d’aujourd’hui et de nouveaux logements seraient de toute manière nécessaires. Qu’inventeraient-ils alors pour vilipender Israël ? Des maisons, des appartements, des hôpitaux, etc. ne sont pas des « obstacles à la paix », surtout lorsqu’ils sont construits — comme dans la grande majorité des cas ! — dans les grands blocs de peuplement qui, dans toutes les configurations de paix envisageables, reviendraient à l’État hébreu. Pour favoriser l’avènement d’une paix en Palestine, il conviendrait d’abord que l’Occident et les alliés d’Israël cessent de reprendre à leur compte la rhétorique saugrenue sur le « danger » des constructions en Judée-Samarie et défendent l’État hébreu dans la guerre d’usure diplomatique que l’OLP et ses soutiens mènent contre lui à l’ONU. Les obstacles à la paix sont nombreux, mais ils ne sont pas faits de briques.