Crime et châtiment des Magyars

L’activation il y a trois mois de l’article 7 du Traité de l’Union européenne (TUE) à l’encontre de la Hongrie par le Parlement européen (PE) a donné lieu à une profusion de comptes rendus dans la presse. Voici mon analyse de la portée de cet événement et du rapport Sargentini qui en fut le noyau.

L’activation il y a trois mois de l’article 7 du Traité de l’Union européenne (TUE) à l’encontre de la Hongrie par le Parlement européen (PE) a donné lieu à une profusion de comptes rendus dans la presse. À lire les média, on serait porté à croire que l’Union européen (UE), dans un sursaut de virilité inhabituelle, aurait protégé ses institutions, restauré son autorité et défendu ses valeurs en sanctionnant vigoureusement la politique droitière du séditieux Viktor Orbán. Il faut dire que Viktor Orbán et son parti Fidesz n’y sont pas allés de main morte ces dernières années pour susciter l’ire de la Commission et des capitales ouest-européennes. Adepte d’un conservatisme chrétien suranné à l’ouest, l’insupportable Orbán avait amplement démontré sa « xénophobie » en refusant d’accueillir des migrants sur le sol hongrois et son « antilibéralisme » en dressant des obstacles législatifs à une forme agressive de subversion financée par le milliardaire américain Georges Soros.

L’article 7 du TUE, qualifié d’ « option nucléaire » parce qu’il peut conduire à la suspension de certains droits découlant l’adhésion à l’Union européenne (UE) et à la suspension du droit de vote au Conseil européen (CE), fut activé le 12 septembre dernier sur base du rapport de la députée européenne Judith Sargentini (groupe Verts/ALE, Pays-Bas). En commission, ce rapport fut adopté à 37 voix contre 19. Il fut principalement soutenu par les groupes européens ALDE (libéralisme social), GUE/NGL (gauche antilibérale, anticapitaliste), S&D (social-démocratie), Verts/ALE (écologie politique) et opposé par les groupes ECR (libéralisme conservateur), ELDD (euroscepticisme),  ENL (nationalisme, souverainisme) et NI (non inscrits). Le groupe PPE (conservatisme, démocratie chrétienne) fut partagé.

Pourtant le vote qui eut lieu ce 12 septembre 2018 au PE pour sanctionner la Hongrie au moyen de l’article 7 du TUE n’est pas l’explosion nucléaire qu’on nous relate, mais un pétard mouillé pour trois raisons qui seront développées infra :

  • La proposition soumise au vote du PE portait sur un risque de violation et non sur une violation de l’article 2 du TUE, ce qui entraîne des conséquences mineures.
  • Le rapport Sargentini qui soutient l’activation de l’article 7 du TUE contient beaucoup d’allégations mal fondées et opposables par la Hongrie.
  • L’activation réelle de la procédure prévue à l’article 7 du TUE nécessiterait l’approbation du Conseil européen à une majorité des 4/5, ce qui a peu de chance de se produire.

De plus, la Hongrie conteste l’issue positive du vote au PE parce qu’une majorité qualifiée des 2/3 était nécessaire pour valider la proposition soumise alors que le résultat du vote fut : 448 voix pour (64,8 %), 197 voix contre (28,4 %) et 48 abstentions (6,9 %). En effet, le règlement du PE prévoit que « pour l’adoption ou le rejet d’un texte, seules les voix « pour » et « contre » sont prises en compte dans le calcul des suffrages exprimés, sauf dans les cas où les traités prévoient une majorité spécifique. » Si la Hongrie obtient gain de cause, l’activation de l’article 7 du TUE sera tout bonnement annulée.

Que dit l’article 7 du TUE ?

L’article 7 protège l’UE contre la violation par un État membre des valeurs fondamentales et des principes que les Européens chérissent et désirent promouvoir. Ils sont énoncés à l’article 2 du TUE :  la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’État de droit, des droits de l’homme, la tolérance, le respect des minorités, etc.

Le voici dans son intégralité :

  1. Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.
    Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables.
  2. Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.
  3. Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.
    Les obligations qui incombent à l’État membre en question au titre des traités restent en tout état de cause contraignantes pour cet État.
  4. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises au titre du paragraphe 3 ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures.
  5. Les modalités de vote qui, aux fins du présent article, s’appliquent au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sont fixées à l’article 354 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Bien que tous les pays de l’UE se soient engagés à respecter les valeurs et principes de l’article 2 du TUE, aucun de ces principes n’est jamais parfaitement mis en œuvre : la liberté et la tolérance ne pas absolues, la dignité humaine peut être en partie bafouée (par exemple quand une personne est privée de liberté ou se retrouve à la rue), la démocratie est souvent insuffisante par soucis d’efficacité et les droits de l’homme imparfaitement respectés.

Il s’ensuit que la notion de « violation » qui est centrale à l’article 7 ne peut s’apprécier que de manière subjective. Elle ne relève d’aucune définition juridique et est laissée à l’appréciation des politiques. La loi européenne délègue aux parlementaires européens et aux chefs d’États le soin de statuer.

Quand viole-t-on l’article 2 du TUE ?

Considérons par exemple le racisme. Selon l’article 2 du TUE, il ne devrait pas exister sur le sol européen. Or le racisme et l’antisémitisme sont répandus en France, en Allemagne et en Belgique. De nombreux rapports mesurent le phénomène dans ses diverses déclinaisons. À l’évidence, les gouvernements de l’Europe occidentale n’arrivent pas à en venir à bout. Bien qu’ils condamnent les attentats ou les agressions à caractère raciste, il est rare que les gouvernements occidentaux prennent des mesures législatives supplémentaires pour lutter contre le racisme.

Parfois, les gouvernements violent eux-mêmes les principes de l’article 2, notamment en matière de libre circulation, en expulsant des minorités ethniques. Ce fut par exemple le cas lorsque le gouvernement français décida d’expulser des Roms en 2010. Les mauvais traitements des Roms par la France ne sont d’ailleurs pas l’apanage d’un gouvernement particulier.

Dans les pays d’Europe de l’Est, plus pauvres et encore marqués par la violence civile du communisme, le respect des minorités, de la dignité humaine, des droits de l’homme et les principes libéraux sont plus souvent violés. Ces pays ont pourtant été admis dans l’UE entre 2004 et 2007. Il a été jugé à ce moment qu’ils adhéraient de manière satisfaisante à tous les critères européens, y compris aux valeurs énoncées de l’article 2 du TUE.

Jusqu’à présent, aucun pays n’a été jugé comme violant l’article 2 du TUE. L’ampleur de la violation des valeurs communes doit être grande, incontestable et persistante pour que l’UE désigne un État membre comme violant l’article 2 et déclenche contre lui la procédure ad hoc (Art. 7§2-4 du TUE) qualifiée d’ « option nucléaire ». Comme nous allons le voir ci-dessous, ce n’est pas ce dont on accuse la Hongrie.

Violation et risque de violation

En réalité, le rapport Sargentini et le vote qui eut lieu le 12 septembre 2018 au PE invitaient « le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée. »

La loi européenne distingue subtilement le risque de violation et la violation de l’article 2 du TUE. Le risque de violation relève de l’Art. 7§1 du TUE, alors que la violation elle-même relève des paragraphes suivants, Art. 7§2-4.

C’est donc au nom d’un risque de violation de l’article 2 du TUE que la Hongrie a fait l’objet d’une procédure relevant de l’article 7. Loin de statuer sur une violation des valeurs fondamentales de l’UE par la Hongrie (avec à la clé des mesures « nucléaires »), le vote du PE du 12 septembre 2018 autorise simplement le Conseil européen à « constater » l’existence d’un risque et à inviter la Hongrie à y remédier. De plus, le risque ne sera réellement constaté que si 4/5 des membres du Conseil valide la thèse de Mme Sargentini qu’un risque existe.

Qu’est-ce qu’un risque de violation et pourquoi le législateur a-t-il introduit cette notion ? L’article 7 du TUE dérive de l’article F1 du Traité d’Amsterdam de 1997. À l’origine, cet article ne concernait que les violations réelles. Cependant, en 2000, après l’accession au pouvoir du parti d’extrême droite autrichien de Jörg Haider, la panique s’empara des capitales européennes. Craignant une dérive fascisante, elles auraient voulu utiliser l’article F1 du Traité d’Amsterdam à titre préventif contre l’Autriche, mais ne le pouvaient pas car aucune violation réelle des valeurs et principes européens n’avait été observée. L’année suivante, lors de la signature du Traité de Nice, un nouveau paragraphe fut ajouté (le paragraphe 1), permettant de lancer une procédure préventive dès lors qu’un risque de violation des valeurs fondamentales de l’UE est perçu.

Par nature, un « risque » ne peut entraîner aucune sanction concrète.

Par nature, un « risque » ne peut entraîner aucune sanction concrète. Plus encore qu’une violation réelle de l’article 2 du TUE, un risque de violation est très difficile à établir et à justifier. L’accession au pouvoir du parti de Jörg Haider démontre à merveille que l’intuition d’un risque de violation des valeurs fondamentales de l’UE peut s’avérer non fondée et ne déboucher sur aucune violation réelle de ces valeurs : l’Autriche est toujours restée sur une ligne strictement démocrate et respectueusement libérale.

Que risque donc la Hongrie à ce stade ? Rien, sinon l’opprobre lancée sur elle par d’autres membres de l’UE mécontents de sa politique. Le rôle du rapport Sargentini dans cette affaire consiste à rendre vraisemblable aux yeux du public l’existence d’un risque que les principes humanistes et libéraux de l’UE soient un jour violés en Hongrie. Comme nous allons le montrer maintenant la démonstration de Mme Sargentini n’est pas très convaincante.

Le rapport Sargentini

Pour établir le « risque de violation de l’article 2 du TUE », le rapport Sargentini part du principe qu’il convient lister toutes les violations observées des droits humains en Hongrie, qu’elles soient bénignes ou sérieuses, qu’elles soient imputables à la législation ou non, qu’elles soient d’actualité ou de l’histoire ancienne, qu’elles soient le fait du gouvernement actuel ou non. En ce qui concerne l’action législative du gouvernement hongrois, Judith Sargentini reconnait explicitement l’amalgame dans la motivation de son rapport :

Le rapport fait également référence à des cas qui ont été traités par la Commission dans le cadre de procédures d’infraction. Bien que ces cas d’infraction aient pu être classés, ils figurent toujours dans le présent rapport, car ils ont eu une incidence sur l’atmosphère générale dans le pays. Prises à titres individuel, certaines lois ont certes pu, dans la lettre, être aménagées pour respecter les valeurs européennes, mais des dommages matériels ont été causés.

Les tâtonnements législatifs d’un ancien pays communiste entré dans le giron européen en 2004 et qui essaye de régler ses nombreux problèmes sociaux dans le respect de sa constitution et des règles démocratiques constituent donc pour la rapporteure Sargentini une preuve d’un risque de violation des principes européens alors même que la Hongrie a toujours maintenu le dialogue avec la Commission européenne et accepté de revoir sa législation en tenant compte des remarques de la Commission. On ne se souvient pas que les pays fondateurs de la CEE (1957) aient particulièrement tancé le Général de Gaulle pour sa politique coloniale en Algérie ou la Belgique pour la sienne au Zaïre ou encore la République fédérale d’Allemagne pour ne pas avoir dénazifié son administration et sa justice après la guerre. On était à l’époque aussi compréhensif sur les problèmes sociaux et politiques des partenaires fondateurs que l’on est tatillon sur ceux des nouveaux venus. « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir, » écrivait La Fontaine.

Pour établir son rapport, Mme Sargentini a collecté auprès d’organismes officiels (HCR, Bureau du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Commission de Venise du Conseil de l’Europe, Comité de Lanzarote du Conseil de l’Europe, Commission européenne, Agence des droits fondamentaux, Office européen de lutte antifraude) et de représentants officiels (Secrétaire général du Conseil de l’Europe, Représentant spécial sur les migrations et les réfugiés du Conseil de l’Europe) l’ensemble des contentieux, réglés ou non, avec la Hongrie. Elle y a ajouté les récriminations d’une trentaine d’ONG aux positions anti-Orbán clairement affichées.

Mme Sargentini n’a par contre pas jugé utile de se rendre en Hongrie pour entendre les députés, les ministres et les juges hongrois concernés par la matière du rapport.

Mme Sargentini n’a par contre pas jugé utile de se rendre en Hongrie pour entendre les députés, les ministres et les juges hongrois concernés par la matière du rapport. Elle s’est contentée de s’entretenir avec l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Hongrie auprès de l’UE, le ministre hongrois des affaires étrangères, le ministre d’État hongrois pour les affaires du Parlement et des fonctionnaires du gouvernement hongrois de la zone de transit de Röszke (zone de transit pour migrants à la frontière serbe). Dans la motivation du rapport, Mme Sargentini précise innocemment :

En l’absence de visite officielle de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, votre rapporteure a entrepris de se rendre elle-même en Hongrie. Pour la suite des travaux, il est fortement recommandé d’envoyer une délégation parlementaire dans l’État membre concerné. On peut difficilement expliquer aux autorités et aux citoyens de l’État membre concerné que le Parlement juge qu’une situation représente un risque évident de violation grave des valeurs européennes inscrites dans les traités sans avoir pris la peine de se rendre sur place.

Parmi les contentieux listés dans le rapport, on trouve bien-sûr des entorses établies ou alléguées aux droits de l’homme et des atteintes à la liberté, certaines préoccupantes mais d’autres bénignes. Signe d’une compilation peu soignée, certains faits se trouvent cités plus d’une fois.

Des reproches hors sujet

De manière surprenante, cinq reproches sur les soixante-neuf listés (20-24) dans le rapport concernent des faits de corruption et de conflits d’intérêts dont on serait bien en peine de comprendre le lien avec les valeurs fondamentales dont traite l’article 2 du TUE.

Par exemple, on lira ainsi au point (24) du rapport :

Selon le septième rapport sur la cohésion économique et sociale, l’efficacité du gouvernement hongrois a diminué depuis 1996 et elle est l’un des États membres dont le gouvernement est le moins efficace de l’Union. Toutes les régions hongroises sont bien en dessous de la moyenne de l’Union en ce qui concerne la qualité de l’administration publique; Selon le rapport anticorruption de l’UE publié par la Commission européenne en 2014, la corruption est perçue comme répandue (89 %) en Hongrie. Selon le rapport sur la compétitivité mondiale 2017-2018, publié par le Forum économique mondial, le niveau élevé de corruption était l’un des facteurs les plus problématiques pour exercer des activités en Hongrie.

Il est surréaliste que l’UE reproche à la Hongrie d’avoir vu l’ «efficacité » de son gouvernement diminuer depuis qu’elle est pleinement sortie du système communiste ! Ces problèmes ne sont pas imputables à un camp politique particulier puisque des gouvernements de gauche et de droite se sont succédé depuis 1996. Non seulement ils n’ont aucun rapport avec une possible violation de l’article 2 du TUE, mais ils n’ont pas empêché l’UE d’estimer que la Hongrie était prête à rejoindre l’Union en 2004.

Au point (14) du rapport, on peut simplement lire : « Le 29 mai 2018, le gouvernement hongrois a présenté un projet de septième modification de la Loi fondamentale (T/332), qui a été adopté le 20 juin 2018. Il a introduit un nouveau système de tribunaux administratifs. » On sera bien en peine de dire en quoi ce point est pertinent.

Au point (7), la rapporteure, citant la Commission de Venise, constate que la Hongrie remplit tous les critères d’une démocratie constitutionnelle, mais s’inquiète du fait que « la société civile y ait été insuffisamment associée » et de « l’absence de consultation sincère ». En d’autres termes, Mme Sargentini reproche à la Hongrie de ne pas écouter les avis d’ONG militantes et non représentatives. Non seulement cette exigence n’a aucune justification, mais on a du mal à voir en quoi cela impliquerait un risque de violation de l’article 2 du TUE.

À l’opposé, au point (11), Mme Sargentini reproche au contraire au gouvernement de consulter abusivement la population dans deux cas précis : (i) sur les contentieux avec l’UE (« Halte à Bruxelles »), (ii) sur le contentieux avec l’UE au sujet de la crise des migrants (« Soros Plan »). Bien que ces consultations populaires soient très contestables sur le fond et la forme (contrevérités, questions mal posées) et traduisent une manière populiste d’exercer le pouvoir qu’on ne souhaiterait pas voir dans une démocratie libérale sophistiquée, elles ne menacent pas les valeurs et principes inscrits à l’article 2 du TUE.

Des critiques non imputables à l’État

Au point (32) du rapport, il est reproché au magazine hongrois Figyelő d’avoir publié une liste de plus de 200 personnes qui, selon le média, œuvreraient au « renversement du gouvernement » et d’avoir affirmé en connaître 2000 autres. Bien que la publication d’une liste nominative soit contestable, Figyelő est un magazine privé et la liberté de la presse doit s’appliquer à toute la presse, même celle qui soutient le gouvernement, dans la limite de loi. En publiant une telle liste, le magazine Figyelő s’est exposé aux poursuites pour délit de presse ou diffamation. L’État hongrois ne peut en être tenu responsable.

Au point (42) du rapport, relatif à la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe portant sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, la rapporteure note que la Hongrie a signé la convention (en 2014) mais qu’elle ne l’a pas encore ratifiée. Elle regrette « que des visions patriarcales stéréotypées aient encore cours dans l’État partie [de la convention] en ce qui concerne la place des femmes dans la société » et prend  « note avec préoccupation des propos discriminatoires que des personnalités politiques tiennent à l’égard des femmes ». L’état d’esprit de la population hongroise quant au rôle de la femme dans la société n’est évidement pas la responsabilité du gouvernement et il ne convient pas dans une société libre que le gouvernement induise des changements de société. Le fait que la société hongroise soit plus chrétienne, traditionnelle et plus patriarcale que celle de l’Europe de l’ouest ne résulte pas de la non ratification de la Convention d’Istanbul par la Hongrie. Il n’y a d’ailleurs pas de violence particulière contre les femmes en Hongrie. La rapporteure omet de mentionner que d’autres pays membres du Conseil de l’Europe (Arménie, Bulgarie, Irlande, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Moldavie, Slovaquie, Tchéquie, Royaume-Uni, Ukraine) n’ont pas encore ratifié cette convention, que d’autres encore ne l’ont même pas signée (Azerbaïdjan, Russie) et que l’Union européenne elle-même ne l’a signée qu’en 2017, mais pas encore ratifiée. La rapporteure ajoute que « le code pénal [hongrois] ne protège pas pleinement les femmes victimes de violences conjugales » sans rien pointer de spécifique ; aucun code pénal ne peut protéger pleinement les individus.

Des problèmes que la Hongrie traite ou a déjà traités

Aux points (12-13), le rapport mentionne une loi de 2011 déséquilibrant les rapports entre le pouvoir législatifs et judiciaire (trop de pouvoirs donnés au président élu de l’Office national de la justice, OJN). Or, comme Mme Sargentini le reconnait : « À la suite de recommandations internationales, notamment de la Commission de Venise, le statut du président de l’ONJ a été modifié et ses pouvoirs ont été limités de façon à ménager un meilleur équilibre entre le président et l’ONJ. »

Au point (16), il est indiqué que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait jugé en 2015 que « la Hongrie manquait systématiquement de veiller à ce que les procédures statuant sur des droits et des obligations civiles prennent fin dans un délai raisonnable et de prendre des mesures pour que les requérants puissent demander réparation pour des procédures civiles d’une durée excessive. » Mais le rapport admet aussi qu’un « nouveau code de procédure civile, adopté en 2016, prévoit l’accélération des procédures civiles (…). La Hongrie a informé le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe que la nouvelle loi créant un recours effectif pour les procédures prolongées serait adoptée d’ici octobre 2018. »

Au point (49), Mme Sargentini, se référant à un rapport du Comité des droits de l’homme des Nations unies de 2018, rapporte le « placement de force dans des établissements médicaux, de mises à l’isolement et de traitements forcés d’un grand nombre de personnes présentant des handicaps mentaux, intellectuels et psychosociaux, ainsi que des informations faisant état d’actes de violence, ainsi que de traitements cruels, inhumains ou dégradants, et par les allégations selon lesquelles un nombre important de décès survenus dans des établissements fermés n’auraient pas fait l’objet d’enquêtes. » Il est exact que la situation des personnes handicapées en Hongrie est depuis longtemps très préoccupante et largement héritée de la période communiste, mais Mme Sargentini oublie volontairement de mentionner que la Hongrie a été l’un des premiers pays à ratifier la Convention sur les droits des personnes handicapées (2007), que le même rapport qu’elle cite note « les progrès de l’État partie en ce qui concerne la promotion et la protection des droits des personnes handicapées » et qu’il « accueille avec satisfaction l’instauration, en 2015, du Programme national sur le handicap pour la période 2015-2025. »

De même, la « Commission de Venise a également pris acte des efforts déployés au fil des ans par le gouvernement hongrois pour améliorer le texte original des lois sur les médias, conformément aux commentaires de divers observateurs, dont le Conseil de l’Europe, et a noté avec satisfaction la volonté des autorités hongroises de poursuivre le dialogue »

Les lois sur les média ont fait l’objet de beaucoup de réaménagement depuis 2011 suite aux critiques d’organisations internationales comme la Commission de Venise, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE, le Comité des droits de l’homme des Nations unies et de personnalités comme le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le présentant de l’OSCE pour la liberté des médias et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Les points (27-29, 31) du rapport Sargentini relatent les reproches qui ont été formulés contre la loi hongroise et les réponses apportées. À l’heure actuelle, le principal point de contentieux consiste en ce que le Conseil des médias et l’Autorité nationale des médias et de l’information n’auraient pas encore (selon les critiques) l’indépendance nécessaire pour s’acquitter correctement de leurs fonctions. Pourtant, le rapport note que « dans sa déclaration du 29 janvier 2013, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe s’est félicité du fait que les discussions dans le domaine des médias se soient traduits par plusieurs changements importants ». De même, la « Commission de Venise a également pris acte des efforts déployés au fil des ans par le gouvernement hongrois pour améliorer le texte original des lois sur les médias, conformément aux commentaires de divers observateurs, dont le Conseil de l’Europe, et a noté avec satisfaction la volonté des autorités hongroises de poursuivre le dialogue ». Certaines critiques n’ont pas été rencontrées. Par exemple, le rapport Sargentini explique que le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avait mentionné en décembre 2014 « les questions de la concentration dans l’actionnariat des médias et de l’autocensure et indiqué que le cadre juridique pénalisant la diffamation devrait être abrogé ». Le premier point n’est évidemment pas du ressort du gouvernement. Quant au second, on ne peut que s’étonner que la diffamation par voie de presse puisse être considérée comme un droit de l’homme.

Des problèmes mineurs

Au point (10), le rapport note que « l’administration technique des élections était professionnelle et transparente, que les droits et libertés fondamentaux étaient dans l’ensemble respectés, mais qu’ils étaient exercés dans un climat défavorable. L’administration électorale s’est acquittée de son mandat de manière professionnelle et transparente et a bénéficié dans l’ensemble de la confiance des différents acteurs. La campagne a été animée, mais la rhétorique de campagne hostile et intimidante a limité l’espace propre à la tenue d’un débat de fond et a porté atteinte à la faculté des électeurs de se prononcer en connaissance de cause. (…) La capacité des candidats à rivaliser sur un pied d’égalité a été considérablement mise à mal par les dépenses excessives du gouvernement en publicité d’information publique qui a amplifié le message de campagne de la coalition au pouvoir. » Des campagnes politiques où l’agressivité et la démagogie prennent le pas sur les débats de fond sont malheureusement fréquentes dans tous les pays. Par contre, la mise à disposition des moyens de l’État pour la propagande politique d’un camp est évidement inacceptable. Cela ne constitue cependant pas une violation grave de l’État de droit et ne relève pas de l’article 2 du TUE.

Au point (30), le rapport relate que le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE s’est plaint que la couverture par la presse de la compagne électorale de 2018 « était hautement polarisée et dépourvue d’analyse critique ». On serait en peine de trouver un État de l’UE où cela ne serait pas les cas depuis quelques années. Reconnaissant que « le radiodiffuseur public a rempli son mandat de fournir du temps d’antenne gratuit aux concurrents », le Bureau regrette que « ses bulletins d’informations et sa production éditoriale ont clairement favorisé la coalition au pouvoir, ce qui est en contradiction avec les normes internationales. » Là encore, on serait malheureusement bien en peine de trouver un  État de l’UE où les média publics ne favorisent pas le pouvoir ; en Belgique francophone par exemple la partialité de la RTBF et son orientation idéologique épousent les thèses écosocialistes du principal parti de gouvernement … et pas seulement en période électorale. Tout cela ne constitue évidement pas des violations de l’article 2 du TUE, ni n’augmente des risques de violation. Finalement, c’est sans doute la dernière critique du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE qui prête encore le plus à sourire : il reprochait à la Hongrie que « la plupart des radiodiffuseurs commerciaux étaient partiaux dans leur couverture, que ce soit pour les partis au pouvoir ou pour les partis d’opposition ».

Au point (71) du rapport, on reproche à Victor Orbàn d’avoir pris des mesures « pour interdire le sans-abrisme de rue ainsi que la construction de huttes et de cabanes », mesures décrites comme criminalisant le sans-abrisme.

Le point (72) reproche à la Hongrie, aussi incroyable que cela paraisse, de ne pas mener une politique suffisamment socialiste. Voici un long extrait qui permettra de saisir ce que Mme Sargentini sélectionne comme preuve de violation grave de l’article 2 du TUE :

Le Comité a également estimé que la Hongrie ne se conformait pas à la Charte sociale européenne au motif que le niveau de l’assistance sociale servie à une personne seule sans ressources, y compris les personnes âgées, était insuffisant, que l’égalité d’accès aux services sociaux n’était pas garantie aux ressortissants de tous les États parties qui résident légalement sur le territoire hongrois et qu’il n’était pas établi qu’il existait une offre de logements suffisante pour les familles vulnérables. En matière de droits syndicaux, le Comité a déclaré que le droit des travailleurs à bénéficier de congés payés n’était pas suffisamment garanti, qu’aucune mesure de promotion n’avait été prise encourager la conclusion de convention collectives alors que la protection des travailleurs par celles-ci est manifestement faible en Hongrie, et que dans la fonction publique le droit de déclencher une grève était réservé aux syndicats qui sont parties à l’accord conclu avec le gouvernement; les critères utilisés pour définir quels fonctionnaires se voient refuser le droit de grève vont au-delà du champ d’application de la Charte; les syndicats de la fonction publique ne peuvent appeler à la grève que par approbation de la majorité du personnel concerné.

Le point (75) continue dans la même veine, s’inquiétant que la proportion de personnes menacées de pauvreté et d’exclusion sociale soit supérieure à la moyenne de l’UE et de ce que le niveau des prestations de revenu minimum est inférieur à 50 % du seuil de pauvreté pour un ménage d’une personne.

La question des Roms

La question du respect de la minorité rom tient une place importante dans tous les rapports sur le respect des droits de l’homme en Hongrie, ainsi que dans la Roumanie voisine. La question du peuple rom, malmené par l’histoire, dénigré et pauvre est centrale en Hongrie. C’est donc à raison que le rapport Sargentini s’en préoccupe dans les points (50-55, 58-60). Comme le stipule le rapport, les Roms sont l’ « objet de discriminations et d’inégalités systématiques dans tous les domaines de la vie quotidienne, notamment le logement, l’emploi, l’éducation, l’accès à la santé et la participation à la vie sociale et politique ». Des actes de violence contre les Roms sont commis et des « marches paramilitaires » et des « patrouilles dans les villages peuplés de Roms » ont été rapportés, des faits d’une extrême gravité.

Il convient cependant de noter que cet état des lieux terrible est une réalité qui n’est pas récente et que l’on ne peut en aucune manière l’imputer à la politique du gouvernement hongrois comme semble le suggérer le rapport Sargentini en citant cette réalité dans son dossier à charge de la Hongrie et de son gouvernement.

Les faits ne pouvant les éluder,  le rapport mentionne donc que le « gouvernement hongrois a pris plusieurs mesures importantes pour favoriser l’intégration des Roms. Le 4 juillet 2012, il a adopté le plan d’action pour la protection de l’emploi afin de protéger l’emploi des travailleurs défavorisés et de favoriser l’emploi des chômeurs de longue durée. Il a également adopté la stratégie sectorielle en matière de soins de santé intitulée «Healthy Hungary 2014-2020» pour réduire les inégalités en la matière. En 2014, il a mis en œuvre une stratégie pour la période 2014-2020 pour le traitement des logements insalubres dans les quartiers défavorisés. »

Le rapport pointe aussi le fait qu’en 2016 la Commission s’est inquiétée de la « surreprésentation disproportionnée des enfants roms dans les écoles spéciales pour enfants handicapés mentaux, alors que ces enfants font l’objet d’une ségrégation considérable dans les écoles ordinaires, ce qui entrave l’inclusion sociale. » Ici encore, le gouvernement hongrois a immédiatement réagi dans un sens positif. En effet, il « a activement engagé un dialogue avec la Commission. La stratégie hongroise d’inclusion met l’accent sur la promotion de l’éducation inclusive, la réduction de la ségrégation, la rupture de la transmission intergénérationnelle des inégalités et l’établissement d’un environnement scolaire inclusif. En outre, la loi sur l’enseignement public national a été complétée par des garanties supplémentaires depuis janvier 2017, et le gouvernement hongrois a lancé des audits officiels en 2011-2015, suivis par des mesures prises par les services gouvernementaux. »

Finalement, la question des marches paramilitaires intimidantes dans les villages roms a été prise en main par le gouvernement hongrois dès 2011, bien avant que le Conseil de l’Europe ne se préoccupe de cette terrible situation.

Finalement, la question des marches paramilitaires intimidantes dans les villages roms a été prise en main par le gouvernement hongrois dès 2011, bien avant que le Conseil de l’Europe ne se préoccupe de cette terrible situation. En effet la Hongrie a modifié son code pénal en 2011 « afin de prévenir les campagnes des groupes paramilitaires d’extrême droite, en par l’introduction du «crime en uniforme», punissant de trois ans d’emprisonnement tout comportement asocial provocateur suscitant la peur chez un membre d’une communauté nationale, ethnique ou religieuse. »

En résumé, il est particulièrement choquant que le rapport Sargentini, par sa structure même, suggère (à toute personne le lisant en diagonale) que la situation dramatique des Roms de Hongrie serait à mettre sur le compte de la politique du gouvernement Orbán. Les faits sociaux et les discriminations rapportés ne sont pas de la responsabilité du gouvernement et que celui-ci a pris de nombreuses mesures contre le racisme, pour la protection et l’inclusion de la population rom.

La confusion des niveaux de pouvoir et de responsabilité est patente au point (55) du rapport où une discrimination des Roms (expulsion de logement sociaux) imputable à une autorité communale particulière (ville de Miskolc) est longuement détaillée alors que la seule chose que l’on puisse reprocher au gouvernement Hongrois dans ce dossier est que l’un de ses services n’a pas entièrement suivi une recommandation de la « Commission européenne contre le racisme et l’intolérance ». La même confusion apparaît au point (59) du rapport où des comportements discriminatoires d’une police locale sont rapportés, sans que le gouvernement Orbàn ne soit en rien responsable (l’affaire est en en cours de jugement). Mieux, au point (60) le rapport reconnait que « le gouvernement a mis en place un groupe de travail contre les crimes de haine, lequel dispense une formation aux policiers et aide les victimes à coopérer avec la police et à signaler les incidents. »

L’antisémitisme

La charge d’antisémitisme contre le gouvernement Hongrois est encore plus creuse que celle concernant les discriminations contre les Roms. Le rapport Sargentini consacre les points (56) et (57) à la discrimination envers les Juifs. La lecture de ces deux points montre qu’on ne peut strictement rien reprocher au gouvernement hongrois en matière de lutte contre l’antisémitisme.

Le point (56) peut être reproduit ici dans son intégralité :

Dans sa résolution du 5 juillet 2017, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a recommandé aux autorités hongroises de continuer à améliorer le dialogue avec la communauté juive, le pérenniser et accorder un degré de priorité élevé à la lutte contre l’antisémitisme dans l’espace public, de déployer des efforts soutenus pour prévenir et, dans tous les cas où de tels actes se produisent, les détecter, d’enquêter à leur sujet, de poursuivre les actes motivés par des considérations racistes, ethniques ou antisémites, y compris les actes de vandalisme et les discours de haine, et d’envisager de modifier la loi afin de garantir, dans toute la mesure du possible, une protection juridique contre les infractions à caractère raciste.

Le mot « continuer » est ici décisif car il pointe le fait que le gouvernement hongrois, loin d’encourager l’antisémitisme, met déjà en œuvre les mesures recommandées par les observateurs … et plus encore. En effet, on lit au point (57) :

Le gouvernement hongrois a ordonné que la rente viagère des survivants de l’Holocauste soit augmentée de 50 % en 2012, a créé, en 2013, la commission commémorative 2014 de l’Holocauste en Hongrie, a déclaré 2014 Année commémorative de l’Holocauste, a lancé des programmes de rénovation et de restauration de plusieurs synagogues et cimetières juifs hongrois et se prépare actuellement à accueillir les Maccabiades européennes de 2019 qui se tiendront à Budapest. Les dispositions juridiques hongroises identifient plusieurs infractions liées à la haine ou à l’incitation à la haine, y compris les actes antisémites ou de négation ou de dénigrement de l’Holocauste. La Hongrie s’est vu attribuer la présidence de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) en 2015-2016.

Alors de quoi parle-t-on ? Quel antisémitisme ? Pourquoi parler d’antisémitisme à charge de la Hongrie alors que le gouvernement Orbàn fait tant d’efforts pour éradiquer l’antisémitisme dans son pays (au contraire d’autres pays européens où ce fléau se propage) ? La dernière phrase du point (57) nous l’apprend. Victor Orbàn a critiqué Georges Soros : « dans un discours prononcé le 15 mars 2018 à Budapest, le Premier ministre hongrois a tenu des propos polémiques, y compris des stéréotypes clairement antisémites, pour attaquer George Soros, propos qui auraient pu être considérés comme punissables. » Voilà donc que la critique de Georges Soros et de lui seul justifie que l’on invente des griefs d’antisémitisme au gouvernement hongrois. Voudrait-on détourner l’antiracisme à des fins de guerre idéologique sur d’autres fronts, on ne s’y prendrait pas mieux.

La défense de Georges Soros et de ses initiatives en Hongrie occupe une place prépondérante dans le rapport (voir la section « Les ONG de Soros »).

La question des migrants

Le gouvernement hongrois a adopté une politique très restrictive en matière d’accès à son territoire pour les migrants et la protection internationale n’est accordée que dans les situations les plus graves. Comme le note le rapport : « En 2017, sur 3 397 demandes de protection internationale déposées en Hongrie, 2 880 demandes ont été rejetées, soit un taux de rejet de 69,1 %. En 2015, sur 480 appels judiciaires relatifs à des demandes de protection internationale, on dénombrait 40 décisions positives soit 9 %. En 2016, il y a eu 775 recours, dont 5 ont abouti à des décisions positives, soit 1 %; il n’y a pas eu de recours en 2017. » On peut critiquer cette politique, mais elle ne constitue aucunement une violation du droit international ni des valeurs européennes.

Par contre, le rapport relève au point (63) deux préoccupations significatives :

  1.  un nombre considérable de ressortissants étrangers (y compris des mineurs non accompagnés) affirmaient avoir été soumis à des mauvais traitements physiques par des policiers et des gardes armés travaillant dans des centres d’immigration ou de rétention pour demandeurs d’asile.
  2. une loi de 2017 votée par le Parlement hongrois « prévoit la rétention obligatoire de tous les demandeurs d’asile, y compris des enfants, pendant toute la durée de la procédure d’asile. »

Malheureusement, le rapport n’apporte aucune vérification des allégations de mauvais traitement des étrangers par les policiers hongrois. Il n’établit pas non plus que la rétention obligatoire des demandeurs d’asile prévue par la loi hongroise ait pu présenter des aspects dégradants, humiliants ou préjudiciables aux personnes qui, autrement auraient été livrées à elles-mêmes sans moyen de subsistance.  Le seul argument que Mme Sargentini a trouvé à opposer à la loi sur la rétention des demandeurs d’asile se trouve être celui qu’un demandeur d’asile homosexuel s’est plaint que son « droit à la liberté et à la sûreté » aurait été violé dans la mesure où « les autorités n’auraient pas fait preuve de prudence » lorsqu’elles ont ordonné sa rétention en compagnie « d’autres personnes détenues, dont beaucoup venaient de pays où les préjugés culturels ou religieux à l’encontre de ces personnes étaient largement répandus », point (64). En d’autres termes, le rapport Sargentini accuse le gouvernement hongrois de ne pas considérer par défaut les demandeurs d’asile comme des gens suspects d’être homophobes et violents.

Au point (65), le rapport Sargentini apporte plusieurs critiques concernant la situation des migrants dans les zones de transit installées en Serbie (Röszke et Tompa), hors de la juridiction hongroise. Il est reproché à la Hongrie de procéder à des refoulements « violents » vers ces camps. Il est également reprocher à la Hongrie de mettre en place des « pratiques restrictives en matière d’admission des demandeurs d’asile » provenant de ces camps, de sorte que cela oblige « souvent les demandeurs d’asile à chercher des moyens illégaux de franchir la frontière et à recourir à des passeurs et à des trafiquants, avec tous les risques que cela implique ». Cette critique est absolument hallucinante : la rigueur de la loi hongroise justifierait donc selon Mme Sargentini la criminalité organisée et le trafic d’êtres humains. Ou, dit autrement, si la Hongrie ne laisse pas entrer n’importe qui, elle s’expose à ce que n’importe qui entre quand même par des moyens illégaux. Cette critique est d’autant moins invraisemblable que dans le même temps le rapport rappelle une autre recommandation faite à la Hongrie d’ « adopter un cadre juridique pour l’identification des victimes de la traite des êtres humains parmi les ressortissants de pays tiers qui n’y [les zones de transit] résident pas légalement et à renforcer ses procédures d’identification des victimes de cette traite parmi les demandeurs d’asile et les migrants en situation irrégulière. »

Le rapport Sargentini prétend aussi que « les procédures d’asile, qui se déroulent dans les zones de transit, ne comportent pas de garanties suffisantes pour protéger les demandeurs d’asile contre le refoulement vers des pays où ils courent le risque d’être soumis à un traitement contraire aux articles 2 et 3 de la CEDH. » Cet argument, basé sur une jurisprudence réelle mais abusive des articles 2 et 3 de la CEDH, donne beaucoup de fils à retordre à tous les pays de l’UE. La Belgique y est régulièrement confrontée. On ne saurait reprocher à la Hongrie seule de ne pas se conformer à des interprétations juridiques contestées.

Aux points (66) et (67), le rapport fait référence à deux affaires particulières relatives aux zones de transit en Serbie. Dans la première, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une « violation du droit des requérants à la liberté et à la sûreté », mais un recours est encore pendant devant la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans la seconde, un homme ayant traversé illégalement la frontière a été condamné par un tribunal hongrois à sept ans d’emprisonnement et dix ans d’expulsion du pays sur la base d’accusations d’«actes terroristes». La raison pour laquelle Mme Sargentini insinue que son procès n’aurait pas été équitable et que cette condamnation serait en violation l’article 2 du TUE n’est pas explicitée. Le fait que le gouvernement hongrois n’est pas responsable des jugements des tribunaux ne semble pas devoir être pris en considération.

Le point (68) concerne le non respect par la Hongrie du mécanisme provisoire de relocalisation obligatoire des demandeurs d’asile conformément à la décision du Conseil (UE) 2015/1601. La Slovaquie, la République tchèque et la Pologne sont aussi concernés. Le point (69) concerne l’engagement d’une procédure d’infraction à l’encontre de la Hongrie par la Commission européenne qui estime que « la législation hongroise n’est pas conforme au droit de l’Union, en particulier aux directives 2013/32/UE(6), 2008/115/CE(7) et 2013/33/UE(8) du Parlement européen et du Conseil ainsi qu’à plusieurs dispositions de la charte. La Commission n’a pas encore eu gain de cause.

Le point (70) du rapport rend compte d’observations retenues dans le rapport de 2018 du Comité des droits de l’homme des Nations. Elles sont trop longues à lister ici, mais consistent essentiellement de témoignages de violations diverses non corroborées provenant de sources non spécifiées. Les organisations de défense des migrants sont coutumières de faux témoignages exploités à des fins politiques, comme on l’a vu récemment en Belgique avec l’affaire des Soudanais soi-disant torturés. Le crédit qui peut être apporté à des témoignages invérifiables est faible.

Les ONG de Soros

Dans sa lutte contre la déstabilisation politique et les changements sociétaux auxquels s’affairent les ONG de gauche affiliées à la Open Society Fondation de Georges Soros, le gouvernement Hongrois a fini par s’attaquer à l’Université d’Europe centrale (CEU) établie en Hongrie depuis 1991. Cette université, selon les propres mots de son recteur, se donne pour « mission d’enseigner les valeurs de la société ouverte ». Sauf que la notion de « société ouverte » prônée par la CEU a aussi peu à voir avec la société ouverte du philosophe libéral Karl Popper que la Open Society Fondation elle-même, dont les valeurs se rattachent au gauchisme sociétal et non au libéralisme de Popper. On ne s’étonnera donc pas que la CEU ne forme pas des ingénieurs, des médecins et des scientifiques, mais des communicants, des économistes, des historiens, des experts en études de genre, des experts en science et politique de l’environnement, des experts en sciences politiques et relations internationales et des spécialistes en nationalismes. En d’autres termes la CEU forme des activistes d’élites acquis au programme politique de Georges Soros, qui se retrouveront ensuite en poste dans des Universités classiques, dans le milieux financier et dans les associations militantes financées par la Open Society Fondation. Une autre caractéristique de la CEU est qu’elle délivre des diplômes accrédité à la fois en Hongrie et aux États-Unis, alors même que la CEU n’a aucune attache académique dans ce second pays. Cela la rend très attractive pour les jeunes Hongrois.

Le 4 avril 2017, le parlement hongrois a fait voté un amendement à la loi sur l’enseignement supérieur national stipulant que (i) toute institution étrangère doit aussi avoir une attache académique dans son pays d’origine et que (ii) toute institution d’enseignement étrangère provenant d’en dehors de la zone économique européenne doit, pour opérer, obtenir l’autorisation de la Hongrie.

Le 4 avril 2017, le parlement hongrois a fait voté un amendement à la loi sur l’enseignement supérieur national stipulant que (i) toute institution étrangère doit aussi avoir une attache académique dans son pays d’origine et que (ii) toute institution d’enseignement étrangère provenant d’en dehors de la zone économique européenne doit, pour opérer, obtenir l’autorisation de la Hongrie. Les institutions étrangères devaient se mettre en conformité pour le 1er janvier 2018. On n’imaginerait évidement pas les Frères musulmans ou Daesh installer librement une « université » dans un pays de l’UE et y exercer sans garde fou sa liberté académique et sa liberté d’expression. Pourtant, parce que la CEU ne répond pas à ces conditions, la Commission européenne a lancé contre la Hongrie une procédure d’infraction.

Aux points (33-35) du rapport Sargentini stipule que « la mise en place de règles plus contraignantes, sans qu’elles soient solidement justifiées, associée à des délais stricts et à des sanctions juridiques sévères pour les universités étrangères déjà établies en Hongrie et y exerçant leur activité en toute légalité depuis de nombreuses années, semble poser un grave problème du point de vue de l’État de droit et des principes et des garanties en matière de droits de l’homme. Les universités en question et leurs étudiants sont protégés par les règles nationales et internationales sur la liberté académique, la liberté d’expression et de réunion et le droit à l’instruction et la liberté en la matière. » L’invocation de l’État de droit, des libertés académiques et des libertés fondamentales témoignent ici d’une dramatisation volontaire, d’autant plus que la CEU a réussi à se mettre en conformité avec la nouvelle loi hongroise avant l’échéance du 1 janvier 2018 (en signant une convention avec le Bard College de New-York).

Ce qu’on peut en conclure

En fin de compte, le rapport Sargentini pêche surtout par hypertrophie. Une masse d’allégations cherchant à travestir des différents politiques entre l’est et ouest de l’Europe sous de fausses « craintes de violation des droits de l’homme » éclipsent un certain nombre de remarques et de mises en garde pertinentes relatives à la préservation de l’État de droit, par exemple

  • les points (8-9) relatif à la Cour constitutionnelle et au processus législatif
  • le point (15) relatif à une loi (révisée en 2013) qui a eu pour conséquence une mise à la pension anticipée de certains juges en fin de carrière
  • le point (19) relatif à une meilleure indépendance du ministère public
  • les points (25-26) relatifs au besoin de plus de contrôle judiciaire dans les dispositions de surveillance liées à la lutte anti-terroriste.
  • le point (73) relatifs à une restriction trop sévère du droit de grève qui permet au gouvernement d’autoriser ou non une grève.

Il ressort de sa lecture le sentiment que l’auteure n’a pas cherché à établir la vérité mais a donné libre court à ses biais idéologiques. 

Conclusions générales

Il est paradoxal que ce soit au nom de la liberté, de la tolérance, de la démocratie, du pluralisme, de la non-discrimination et de la justice que l’Union européenne ait organisé une telle parodie de « contrôle démocratique ». Au nom de la démocratie, on a condamné dans l’enceinte du PE un État membre dont les citoyens élisent et réélisent un gouvernement dont ils semblent satisfaits, mais dont la politique déplait fortement aux États de l’ouest. Au nom de la justice, mais sur base d’un rapport fallacieux,  on a insulté et discriminé un peuple européen. Au nom du pluralisme, la gauche parlementaire qui se dit « progressiste » a jeté l’opprobre sur un pays majoritairement conservateur, avec une rhétorique digne de Saint-Just tellement inhabituelle qu’elle a tétanisé le camp conservateur et obscurci l’esprit des libéraux.

Aujourd’hui, trois mois ont passé depuis le vote du PE. Comme attendu, la procédure basée sur l’article 7 du TUE s’est enlisée. Il est raisonnable de penser qu’elle n’aboutira à rien.

Nous serions cependant inconscients de minimiser la portée de cette aventure pour l’UE. L’affaire a pris l’allure d’un procès organisé par le PE, dans lequel une procureure désignée, Mme Sargentini, a plaidé à charge contre un État membre de l’Union sans que celui-ci ne puisse se défendre. Pour ne rien arranger, le dossier de Mme Sargentini, fallacieux comme montré ci-dessus, a été monté avec le concours de fonctionnaires membres d’organisations internationales non mandatés dans ce but et d’organisations non-gouvernementales militantes. Le PE n’étant pas une cour de justice, ces témoignages n’ont pas été vérifiés par une enquête et les parjures ne seront pas punis.

L’UE s’est laissée emporter dans une mystification qui porte une atteinte grave à la démocratie et à l’État de droit. Bien que le danger semble écarté, un des États membres (entité juridiquement responsable devant sa loi nationale et la loi internationale) court encore le risque de se voir retirer des droits fondamentaux sans passer par une cour de justice et sur la base de témoignages collectés sans procédure qui en garantisse la fiabilité. 

Sur le plan politique, une césure très nette et très profonde s’est dessinée en Europe entre les vieilles démocraties d’Europe de l’ouest et les démocraties nouvelles de l’est sorties de la domination impérialiste soviétique. Ces dernières évoluent, se modernisent et leurs citoyens jouissent de leur liberté. Bien que rentrés récemment dans l’UE, il n’entendent pas faire de concessions sur des questions aussi sensibles que la souveraineté nationale et l’expression pleine de leurs spécificités culturelles, religieuses et identitaires.

Le socialisme internationaliste prôné par les social-démocraties ouest-européennes en déclin n’est pas à leur agenda. Cette différence de vision des relations internationales s’est encore cristallisée tout récemment : alors que l’Europe de l’ouest appelait à signer le Pacte de Marrakech sur les migrations, les pays d’Europe de l’est se sont majoritairement prononcés contre le pacte. Non parce qu’ils sont « racistes », « xénophobes », « nationalistes » ou « anti-libéraux » mais parce qu’ils sont en désaccord de principe avec la forme d’ordre international dont ce document est l’émanation. La question de l’ordre international qui s’établira dans ce siècle sera sans le moindre doute un facteur de division au sein de l’UE.